• Un pince-maille avait tant amassé
    Qu'il ne savait où loger sa finance.
    L'avarice, compagne et soeur de l'ignorance,
    Le rendait fort embarrassé
    Dans le choix d'un dépositaire ;
    Car il en voulait un, et voici sa raison :
    « L'objet tente ; il faudra que ce monceau s'altère,
    Si je le laisse à la maison :
    Moi-même de mon bien je serai le larron.
    – Le larron ? Quoi ? jouir, c'est se voler soi-même !
    Mon ami, j'ai pitié de ton erreur extrême ;
    Apprends de moi cette leçon :
    Le bien n'est bien qu'en tant que l'on s'en peut défaire ;
    Sans cela c'est un mal. Veux-tu le réserver
    Pour un âge et des temps qui n'en ont plus que faire ?
    La peine d'acquérir, le soin de conserver,
    Ôtent le prix à l'or, qu'on croit si nécessaire. »
    Pour se décharger d'un tel soin,
    Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin.
    Il aima mieux la terre ; et, prenant son compère,
    Celui-ci l'aide. Ils vont enfouir le trésor.
    Au bout de quelque temps l'homme va voir son or ;
    Il ne retrouva que le gîte.
    Soupçonnant à bon droit le compère, il va vite
    Lui dire : « Apprêtez-vous ; car il me reste encore
    Quelques deniers : je veux les joindre à l'autre masse. »
    Le compère aussitôt va remettre en sa place
    L'argent volé, prétendant bien
    Tout reprendre à la fois sans qu'il y manquât rien.
    Mais, pour ce coup, l'autre fut sage :
    Il retint tout chez lui, résolu de jouir,
    Plus n'entasser, plus n'enfouir ;
    Et le pauvre voleur, ne trouvant plus son gage,
    Pensa tomber de sa hauteur.
    Il n'est pas malaisé de tromper un trompeur.

    Jean de la FONTAINE

    Livre X Fable IV

    lL'enfouisseur et son compère Jean de la FONTAINE


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  • "Faire quelque chose de totalement inutile"

    Lorraine

    L'endroit appelé Betschdorf se trouve au nord-est de Strasbourg. Il compte deux villages contigus, Oberbetschdorf et Niederbetschdorf, séparés par un ruisseau. Des potiers venus d'Allemagne, de la région de Nasseau, s'y sont installés au XVIIIème siècle, important leurs techniques de cuisson de la terre, de colorisation et de décoration, un travail artisanal donnant des objets dans des tons grisâtres agrémentés de décors d'animaux (pigeon, poule, cheval, chien, cerf, faisan, lièvre et boeuf) dans des teintes bleues.

    L'expression, qui se dit en alsacien, hafe uf Batschdorf bringe, exprime combien il serait inutile de transporter des pots dans un village réputé pour être l'un des plus anciens centres de poterie de la région.

    Les plus belles expressions de nos régions

    Pascale LAFITTE-CERTA

    Transporter des pots à Betschdorf


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  • Avec grand bruit et grand fracas
    Un torrent tombait des montagnes :
    Tout fuyait devant lui ; l'horreur suivait ses pas ;
    Il faisait trembler les campagnes.
    Nul voyageur n'osait passer
    Une barrière si puissante ;
    Un seul vit des voleurs ; et se sentant presser,
    Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
    Ce n'était que menace et bruit sans profondeur :
    Notre homme enfin n'eut que la peur.
    Ce succès lui donnant courage,
    Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
    Il rencontra sur son passage
    Une rivière dont le cours
    Image d'un sommeil doux, paisible, et tranquille,
    Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile :
    Point de bords escarpés, un sable pur et net.
    Il entre ; et son cheval le met
    À couvert des voleurs, mais non de l'onde noire :
    Tous deux au Styx allèrent boire ;
    Tous deux, à nager malheureux,
    Allèrent traverser, au séjour ténébreux,
    Bien d'autres fleuves que les nôtres.
    Les gens sans bruit sont dangereux :
    Il n'en est pas ainsi des autres.

    Jean de la Fontaine

    Livre VIII Fable XXIII

    Le torrent et la rivière la Fontaine


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  • Faire le  délicat, le difficile

    Auvergne

    L'expression s'appplique en particulier à la nourriture. L'adjectif regrettif exprime la répugnance.Vous l'entendrez en Auvergne et nulle part aileurs. En français usuel, on trouve des termes comme difficile et délicat, ou plus familièrement bégueule, soit littéralement bouche ouverte (une injure du XVIIème siècle qui s'adressait aux femmes des classes populaires : l'équivalent d'idiote ou de niaise qui a pris le sens de délicat au XIXème siècle). On dit aussi être chichiteux, ou faire des chichis, un terme issu du redoublement de l'onomatopée tchitch, qui exprime la petitesse (un héritage du grec kikkos qui équivaut à un rien.

    Au XVème siècle, à regret signifie avec déplaisir. Le terme regrettif apparait à cette époque dans le Massif Central. Francisque-Balthazar Mège, historien de l'Auvergne, mentionne cet usage en 1861 dans Souvenirs de la langue d'Auvergne.

    Il y a des personnes qui ne mangeraient pas d'un plat si elle y trouvaient un charbon ou un cheveu ; pour moi cela ne me fait rien, je ne suis pas regrettif.

    D'autres tournures régionales décrivent cette attitude. En Bretagne  on dit être pismiguz (mot qui a donné l'anglais punctilious, sourcilleux, scrupuleux). En Lorraine et en Champagne-ardenne, vous entendrez l'expression être nareux ou naireux, une adaptiation régionale composée du latin naris, nez ou narine et du suffixe eux qui donne au mot nareux un côté dépréciatif et péjoratif.

    Les plus belles expressions de nos régions

    Pascale LAFITTE-CERTA

    Etre regrettif

     


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  • Un Philosophe austère, et né dans la Scythie,
    Se proposant de suivre une plus douce vie,
    Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux
    Un sage assez semblable au vieillard de Virgile,
    Homme égalant les Rois, homme approchant des Dieux,
    Et, comme ces derniers satisfait et tranquille.
    Son bonheur consistait aux beautés d'un Jardin.
    Le Scythe l'y trouva, qui la serpe à la main,
    De ses arbres à fruit retranchait l'inutile,
    Ebranchait, émondait, ôtait ceci, cela,
    Corrigeant partout la Nature,
    Excessive à payer ses soins avec usure.
    Le Scythe alors lui demanda :
    Pourquoi cette ruine. Etait-il d'homme sage
    De mutiler ainsi ces pauvres habitants ?
    Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage ;
    Laissez agir la faux du temps :
    Ils iront aussi tôt border le noir rivage.
    - J'ôte le superflu, dit l'autre, et l'abattant,
    Le reste en profite d'autant.
    Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,
    Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure ;
    Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis
    Un universel abatis.
    Il ôte de chez lui les branches les plus belles,
    Il tronque son Verger contre toute raison,
    Sans observer temps ni saison,
    Lunes ni vieilles ni nouvelles.
    Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime bien
    Un indiscret Stoïcien :
    Celui-ci retranche de l'âme
    Désirs et passions, le bon et le mauvais,
    Jusqu'aux plus innocents souhaits.
    Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
    Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort ;
    Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.

    Jean de la FONTAINE

    LIVRE XII FABLE XVIII

    Le philosophe scythe Jean de la FONTAINE


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