• C’est du séjour des Dieux que les Abeilles viennent.
    Les premières, dit-on, s’en allèrent loger
    Au mont Hymette, et se gorger
    Des trésors qu’en ce lieu les zéphirs entretiennent.
    Quand on eut des palais de ces filles du Ciel
    Enlevé l’ambroisie en leurs chambres enclose,
    Ou, pour dire en Français la chose,
    Après que les ruches sans miel
    N’eurent plus que la Cire, on fit mainte bougie ;
    Maint Cierge aussi fut façonné.
    Un d’eux voyant la terre en brique au feu durcie
    Vaincre l’effort des ans, il eut la même envie ;
    Et, nouvel Empédocle aux flammes condamné,
    Par sa propre et pure folie,
    Il se lança dedans. Ce fut mal raisonné ;
    Ce Cierge ne savait grain de Philosophie.
    Tout en tout est divers : ôtez-vous de l’esprit
    Qu’aucun être ait été composé sur le vôtre.
    L’Empédocle de Cire au brasier se fondit :
    Il n’était pas plus fou que l’autre.

    Jean de la FONTAINE

    Livre IX Fable XII

    Le cierge Jean de la FONTAINE


    1 commentaire
  • Un bloc de marbre était si beau
    Qu'un Statuaire en fit l'emplette.
    Qu'en fera, dit-il, mon ciseau ?
    Sera-t-il Dieu, table ou cuvette ?

    Il sera Dieu : même je veux
    Qu'il ait en sa main un tonnerre.
    Tremblez, humains. Faites des vœux ;
    Voilà le maître de la terre.

    L'artisan exprima si bien
    Le caractère de l'Idole,
    Qu'on trouva qu'il ne manquait rien
    A Jupiter que la parole.

    Même l'on dit que l'Ouvrier
    Eut à peine achevé l'image,
    Qu'on le vit frémir le premier,
    Et redouter son propre ouvrage.

    A la faiblesse du Sculpteur
    Le Poète autrefois n'en dut guère,
    Des Dieux dont il fut l'inventeur
    Craignant la haine et la colère.

    Il était enfant en ceci :
    Les enfants n'ont l'âme occupée
    Que du continuel souci
    Qu'on ne fâche point leur poupée.

    Le cœur suit aisément l'esprit :
    De cette source est descendue
    L'erreur païenne, qui se vit
    Chez tant de peuples répandue.

    Ils embrassaient violemment
    Les intérêts de leur chimère.
    Pygmalion devint amant
    De la Vénus dont il fut père.

    Chacun tourne en réalités,
    Autant qu'il peut, ses propres songes :
    L'homme est de glace aux vérités ;
    Il est de feu pour les mensonges.

    Livre IX fable VI

    La FONTAINE

    Le statuaire et la statue de Jupiter La FONTAINE

     


    1 commentaire
  • Jadis certain Mogol vit en songe un vizir
    Aux Champs Elysiens possesseur d’un plaisir
    Aussi pur qu’infini, tant en prix qu’en durée
    Le même songeur vit en une autre contrée
    Un ermite entouré de feux,
    Qui touchait de pitié même les malheureux.
    Le cas parut étrange, et contre l’ordinaire
    Minos en ces deux morts semblait s’être mépris.
    Le dormeur s’éveilla tant il en fut surpris.
    Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystère,
    Il se fit expliquer l’affaire.
    L’interprète lui dit « Ne vous étonnez point ;
    Votre songe a du sens ; et, si j’ai sur ce point
    Acquis tant soit peu d’habitude,
    C’est un avis des dieux. Pendant l’humain séjour,
    Ce vizir quelquefois cherchait la solitude ;
    Cet ermite aux vizirs allait faire sa cour.

    Si j’osais ajouter au mot de l’interprète,
    J’inspirerais ici l’amour de la retraite
    Elle offre à ses amants des biens sans embarras,
    Biens purs, présents du ciel, qui naissent sous les pas.
    Solitude où je trouve une douceur secrète,
    Lieux que j’aimai toujours ne pourrai-je jamais,
    Loin du monde et du bruit, goûter l’ombre et le frais ?
    Oh! qui m’arrêtera sous vos sombres asiles ?
    Quand pourront les neuf sœurs, loin des cours et des villes,
    M’occuper tout entier, et m’apprendre des cieux
    Les divers mouvements inconnus à nos yeux,
    Les noms et les vertus de ces clartés errantes
    Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes !
    Que si je ne suis né pour de si grands projets,
    Du moins que les ruisseaux m’offrent de doux objets !
    Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !
    La Parque à filets d’or n’ourdira point ma vie,
    Je ne dormirai point sous de riches lambris
    Mais voit-on que le somme en perde de son prix ?
    En est-il moins profond, et moins plein de délices ?
    Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
    Quand le moment viendra d’aller trouver les morts,
    J’aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.

    La FONTAINE

    Livre XI Fable III

    Le songe d'un habitant du Mongol La Fontaine

     

     


    1 commentaire
  • Laridon et César, frères dont l’origine
    Venait de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,
    A deux maîtres divers échus au temps jadis,
    Hantaient, l’un les forêts, et l’autre la cuisine.
    Ils avaient eu d’abord chacun un autre nom ;
    Mais la diverse nourriture
    Fortifiant en l’un cette heureuse nature,
    En l’autre l’altérant, un certain marmiton
    Nomma celui-ci Laridon :
    Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
    Mis maint Cerf aux abois, maint Sanglier abattu,
    Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
    On eut soin d’empêcher qu’une indigne maîtresse
    Ne fit en ses enfants dégénérer son sang :
    Laridon négligé témoignait sa tendresse
    A l’objet le premier passant.
    Il peupla tout de son engeance :
    Tournebroches par lui rendus communs en France
    Y font un corps à part, gens fuyants les hasards,
    Peuple antipode des Césars.
    On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père :
    Le peu de soin, le temps, tout fait qu’on dégénère :
    Faute de cultiver la nature et ses dons,
    O combien de Césars deviendront Laridons !

    Livre VIII Fable XXIII

    La FONTAINE

    L'éducation La Fontaine


    1 commentaire
  • Entre deux bourgeois d'une ville
    S'émut jadis un différend :
    L'un était pauvre, mais habile ;
    L'autre, riche, mais ignorant.
    Celui-ci sur son concurrent
    Voulait emporter l'avantage ;
    Prétendait que tout homme sage
    Était tenu de l'honorer.
    C'était tout homme sot ; car pourquoi révérer
    Des biens dépourvus de mérite ?
    La raison m'en semble petite.
    « Mon ami, disait-il souvent
    Au savant,
    Vous vous croyez considérable ;
    Mais, dites-moi, tenez-vous table ?
    Que sert à vos pareils de lire incessamment ?
    Ils sont toujours logés à la troisième chambre,
    Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre,
    Ayant pour tout laquais leur ombre seulement.
    La République a bien affaire
    De gens qui ne dépensent rien !
    Je ne sais d'homme nécessaire
    Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
    Nous en usons, Dieu sait ! notre plaisir occupe
    L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe,
    Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez
    À messieurs les gens de finance
    De méchants livres bien payés. »
    Ces mots remplis d'impertinence
    Eurent le sort qu'ils méritaient.
    L'homme lettré se tut, il avait trop à dire.
    La guerre le vengea bien mieux qu'une satire.
    Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient :
    L'un et l'autre quitta sa ville.
    L'ignorant resta sans asile ;
    Il reçut partout des mépris :
    L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle :
    Cela décida leur querelle.
    Laissez dire les sots ; le savoir a son prix.

    La FONTAINE

    Livre VIII Fable XIX

    L'avantage de la science La FONTAINE


    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique