• Entre deux bourgeois d'une ville
    S'émut jadis un différend :
    L'un était pauvre, mais habile ;
    L'autre, riche, mais ignorant.
    Celui-ci sur son concurrent
    Voulait emporter l'avantage ;
    Prétendait que tout homme sage
    Était tenu de l'honorer.
    C'était tout homme sot ; car pourquoi révérer
    Des biens dépourvus de mérite ?
    La raison m'en semble petite.
    « Mon ami, disait-il souvent
    Au savant,
    Vous vous croyez considérable ;
    Mais, dites-moi, tenez-vous table ?
    Que sert à vos pareils de lire incessamment ?
    Ils sont toujours logés à la troisième chambre,
    Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre,
    Ayant pour tout laquais leur ombre seulement.
    La République a bien affaire
    De gens qui ne dépensent rien !
    Je ne sais d'homme nécessaire
    Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
    Nous en usons, Dieu sait ! notre plaisir occupe
    L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe,
    Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez
    À messieurs les gens de finance
    De méchants livres bien payés. »
    Ces mots remplis d'impertinence
    Eurent le sort qu'ils méritaient.
    L'homme lettré se tut, il avait trop à dire.
    La guerre le vengea bien mieux qu'une satire.
    Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient :
    L'un et l'autre quitta sa ville.
    L'ignorant resta sans asile ;
    Il reçut partout des mépris :
    L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle :
    Cela décida leur querelle.
    Laissez dire les sots ; le savoir a son prix.

    La FONTAINE

    Livre VIII Fable XIX

    L'avantage de la science La FONTAINE


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  • Une jeune Souris, de peu d'expérience,
    Crut fléchir un vieux Chat, implorant sa clémence,
    Et payant de raisons le Raminagrobis :
    « Laissez-moi vivre : une souris
    De ma taille et de ma dépense
    Est-elle à charge en ce logis ?
    Affamerais-je, à votre avis,
    L'hôte et l'hôtesse, et tout leur monde ?
    D'un grain de blé je me nourris :
    Une noix me rend toute ronde.
    À présent je suis maigre ; attendez quelque temps :
    Réservez ce repas à messieurs vos enfants. »
    Ainsi parlait au Chat la Souris attrapée.
    L'autre lui dit : « Tu t'es trompée :
    Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours ?
    Tu gagnerais autant de parler à des sourds.
    Chat, et vieux, pardonner ? cela n'arrive guères.
    Selon ces lois, descends là-bas,
    Meurs, et va-t'en, tout de ce pas,
    Haranguer les soeurs filandières :
    Mes enfants trouveront assez d'autres repas. »
    Il tint parole. Et pour ma fable
    Voici le sens moral qui peut y convenir :
    La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir :
    La vieillesse est impitoyable.

    La Fontaine Livre XII Fable V

    Le vieux Chat et la jeune Souris

     


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  • Un bûcheron venait de rompre ou d'égarer

    Le bois dont il avait emmanché sa cognée.

    Cette perte ne put sitôt se réparer.

    Que la forêt n'en fût quelque temps épargnée.

    L'homme enfin la prie humblement

    De lui laisser tout doucement

    Emporter une unique branche,

    Afin de faire un autre manche :

    Il irait employer ailleurs son gagne-pain ;

    Il laisserait debout maint chêne et maint sapin,

    Dont chacun respecterait la vieillesse et les charmes.

    L'innocente forêt lui fournit d'autres armes.

    Elle en eut du regret. Il emmanche son fer :

    Le misérable ne s'en sert

    Qu'à dépouiller sa bienfaitrice

    De ses principaux ornements :

    Son propre don fait son supplice.

     

    Voilà le train du monde et de ses sectateurs :

    On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.

    Je suis las d'en parler. Mais que de doux ombrages 

    Soient exposés à ces outrages,

    Qui ne se plaindrait là-dessus ?

    Hélas ! J'ai bieau crier et me rendre incommode,

    L'ingratitude et les abus 

    N'en seront pas moins à la mode.

    La forêt et le Bûcheron Jean de la Fontaine


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  • Je ne vois point de créature
    Se comporter modérément.
    Il est certain tempérament
    Que le maître de la nature
    Veut que l'on garde en tout. Le fait-on ? Nullement.
    Soit en bien, soit en mal, cela n'arrive guère.
    Le blé, riche présent de la blonde Cérès
    Trop touffu bien souvent épuise les guérets ;
    En superfluités s'épandant d'ordinaire,
    Et poussant trop abondamment,
    Il ôte à son fruit l'aliment.
    L'arbre n'en fait pas moins ; tant le luxe sait plaire !
    Pour corriger le blé, Dieu permit aux moutons
    De retrancher l'excès des prodigues moissons.
    Tout au travers ils se jetèrent,
    Gâtèrent tout, et tout broutèrent,
    Tant que le Ciel permit aux Loups
    D'en croquer quelques-uns : ils les croquèrent tous ;
    S'ils ne le firent pas, du moins ils y tâchèrent.
    Puis le Ciel permit aux humains
    De punir ces derniers : les humains abusèrent
    A leur tour des ordres divins.
    De tous les animaux l'homme a le plus de pente
    A se porter dedans l'excès.
    Il faudrait faire le procès
    Aux petits comme aux grands. Il n'est âme vivante
    Qui ne pèche en ceci. Rien de trop est un point
    Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point.

    La Fontaine montre une chaîne d’excès : trop de blé ? Les moutons dévorent tout ; trop de moutons ? Les loups les exterminent ; trop de loups ? Les humains se chargent de les tuer : Personne ne sait garder la mesure nécessaire à une vie simple et sereine...

    Rien de trop Jean de la FONTAINE


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  • socrate.jpeg

    Socrate un jour faisant bâtir,
    Chacun censurait son ouvrage :
    L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
    Indignes d'un tel personnage ;
    L'autre blâmait la face, et tous étaient d'avis
    Que les appartements en étaient trop petits.
    Quelle maison pour lui ! L'on y tournait à peine.
    Plût au ciel que de vrais amis,
    Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine !
    Le bon Socrate avait raison
    De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
    Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose :
    Rien n'est plus commun que ce nom,
    Rien n'est plus rare que la chose. 

     

    Jean de la FONTAINE

    Livre IV Fable 17

    1621 - 1695

     

    On lit, dans cette fable, l'intention d'attaquer certains faux
    amis que le poète a connus et qui devaient être particulièrement nombreux à la cour...

      mesprincesses

    Belle semaine à tous !

     

     

     

     


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