• De la peau du lion l'âne s'étant vêtu,
    Était craint partout à la ronde ;
    Et bien qu'animal sans vertu,
    Il faisait trembler tout le monde.
    Un petit bout d'oreille ! échappé par malheur
    Découvrit la fourbe et l'erreur :
    Martin fit alors son office.
    Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
    S'étonnaient de voir que Martin
    Chassât les lions au moulin.

    Force gens font du bruit en France,
    Par qui cet apologue est rendu familier.
    Un équipage cavalier
    Fait les trois quarts de leur vaillance.

    Jean de la FONTAINE

    LIVRE V FABLE XXI

    L'Ane vêtu de la peau du Lion Jean de la FONTAINE


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  • Un pince-maille avait tant amassé
    Qu'il ne savait où loger sa finance.
    L'avarice, compagne et soeur de l'ignorance,
    Le rendait fort embarrassé
    Dans le choix d'un dépositaire ;
    Car il en voulait un, et voici sa raison :
    « L'objet tente ; il faudra que ce monceau s'altère,
    Si je le laisse à la maison :
    Moi-même de mon bien je serai le larron.
    – Le larron ? Quoi ? jouir, c'est se voler soi-même !
    Mon ami, j'ai pitié de ton erreur extrême ;
    Apprends de moi cette leçon :
    Le bien n'est bien qu'en tant que l'on s'en peut défaire ;
    Sans cela c'est un mal. Veux-tu le réserver
    Pour un âge et des temps qui n'en ont plus que faire ?
    La peine d'acquérir, le soin de conserver,
    Ôtent le prix à l'or, qu'on croit si nécessaire. »
    Pour se décharger d'un tel soin,
    Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin.
    Il aima mieux la terre ; et, prenant son compère,
    Celui-ci l'aide. Ils vont enfouir le trésor.
    Au bout de quelque temps l'homme va voir son or ;
    Il ne retrouva que le gîte.
    Soupçonnant à bon droit le compère, il va vite
    Lui dire : « Apprêtez-vous ; car il me reste encore
    Quelques deniers : je veux les joindre à l'autre masse. »
    Le compère aussitôt va remettre en sa place
    L'argent volé, prétendant bien
    Tout reprendre à la fois sans qu'il y manquât rien.
    Mais, pour ce coup, l'autre fut sage :
    Il retint tout chez lui, résolu de jouir,
    Plus n'entasser, plus n'enfouir ;
    Et le pauvre voleur, ne trouvant plus son gage,
    Pensa tomber de sa hauteur.
    Il n'est pas malaisé de tromper un trompeur.

    Jean de la FONTAINE

    Livre X Fable IV

    lL'enfouisseur et son compère Jean de la FONTAINE


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  • Avec grand bruit et grand fracas
    Un torrent tombait des montagnes :
    Tout fuyait devant lui ; l'horreur suivait ses pas ;
    Il faisait trembler les campagnes.
    Nul voyageur n'osait passer
    Une barrière si puissante ;
    Un seul vit des voleurs ; et se sentant presser,
    Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
    Ce n'était que menace et bruit sans profondeur :
    Notre homme enfin n'eut que la peur.
    Ce succès lui donnant courage,
    Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
    Il rencontra sur son passage
    Une rivière dont le cours
    Image d'un sommeil doux, paisible, et tranquille,
    Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile :
    Point de bords escarpés, un sable pur et net.
    Il entre ; et son cheval le met
    À couvert des voleurs, mais non de l'onde noire :
    Tous deux au Styx allèrent boire ;
    Tous deux, à nager malheureux,
    Allèrent traverser, au séjour ténébreux,
    Bien d'autres fleuves que les nôtres.
    Les gens sans bruit sont dangereux :
    Il n'en est pas ainsi des autres.

    Jean de la Fontaine

    Livre VIII Fable XXIII

    Le torrent et la rivière la Fontaine


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  • Un Philosophe austère, et né dans la Scythie,
    Se proposant de suivre une plus douce vie,
    Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux
    Un sage assez semblable au vieillard de Virgile,
    Homme égalant les Rois, homme approchant des Dieux,
    Et, comme ces derniers satisfait et tranquille.
    Son bonheur consistait aux beautés d'un Jardin.
    Le Scythe l'y trouva, qui la serpe à la main,
    De ses arbres à fruit retranchait l'inutile,
    Ebranchait, émondait, ôtait ceci, cela,
    Corrigeant partout la Nature,
    Excessive à payer ses soins avec usure.
    Le Scythe alors lui demanda :
    Pourquoi cette ruine. Etait-il d'homme sage
    De mutiler ainsi ces pauvres habitants ?
    Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage ;
    Laissez agir la faux du temps :
    Ils iront aussi tôt border le noir rivage.
    - J'ôte le superflu, dit l'autre, et l'abattant,
    Le reste en profite d'autant.
    Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,
    Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure ;
    Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis
    Un universel abatis.
    Il ôte de chez lui les branches les plus belles,
    Il tronque son Verger contre toute raison,
    Sans observer temps ni saison,
    Lunes ni vieilles ni nouvelles.
    Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime bien
    Un indiscret Stoïcien :
    Celui-ci retranche de l'âme
    Désirs et passions, le bon et le mauvais,
    Jusqu'aux plus innocents souhaits.
    Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
    Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort ;
    Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.

    Jean de la FONTAINE

    LIVRE XII FABLE XVIII

    Le philosophe scythe Jean de la FONTAINE


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  • Rien ne pèse tant qu'un secret ;
    Le porter loin est difficile aux dames ;
    Et je sais même sur ce fait
    Bon nombre d'hommes qui sont femmes.
    Pour éprouver la sienne un mari s'écria,
    La nuit, étant près d'elle : « Ô Dieux ! qu'est-ce cela ?
    Je n'en puis plus ; on me déchire ;
    Quoi j'accouche d'un oeuf ! – D'un oeuf ? – Oui, le voilà,
    Frais et nouveau pondu : gardez bien de le dire ;
    On m'appellerait poule. Enfin n'en parlez pas. »
    La Femme, neuve sur ce cas,
    Ainsi que sur mainte autre affaire,
    Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire ;
    Mais ce serment s'évanouit
    Avec les ombres de la nuit.
    L'épouse, indiscrète et peu fine,
    Sort du lit quand le jour fut à peine levé ;
    Et de courir chez sa voisine :
    « Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé ;
    N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre :
    Mon mari vient de pondre un oeuf gros comme quatre.
    Au nom de Dieu, gardez-vous bien
    D'aller publier ce mystère.
    – Vous moquez-vous ? dit l'autre : ah ! vous ne savez guère
    Quelle je suis. Allez, ne craignez rien. »
    La femme du pondeur s'en retourne chez elle.
    L'autre grille déjà de conter la nouvelle :
    Elle va la répandre en plus de dix endroits :
    Au lieu d'un oeuf elle en dit trois.
    Ce n'est pas encore tout ; car une autre commère
    En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait :
    Précaution peu nécessaire ;
    Car ce n'était plus secret.
    Comme le nombre d'oeufs, grâce à la Renommée,
    De bouche en bouche allait croissant,
    Avant la fin de la journée
    Ils se montaient à plus d'un cent.

    Jean de la Fontaine

    Livre VIII fable VI

    Les femmes et le secret Jean de la Fontaine


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